I. Cadre général : entre droit constitutionnel et stratégie politique
La levée des immunités parlementaires ou institutionnelles reste l’un des instruments les plus sensibles dans l’architecture démocratique d’un État. En République Démocratique du Congo, ce mécanisme est au cœur de la lutte contre l’impunité mais aussi de fortes tensions politiques. Ces dernières semaines, les dossiers Kabila et Matata Ponyo ont remis cette question au-devant de la scène.
II. Immunités : distinction et portée
Immunités relatives
Elles concernent les membres du Parlement, les ministres, et certaines hautes fonctions publiques. Elles protègent contre des poursuites pour des actes posés dans l’exercice des fonctions, sauf autorisation préalable de l’organe compétent (ex. : Assemblée nationale, Sénat, etc.).
Elles peuvent être levées sur demande du procureur général ou d'une autre autorité judiciaire compétente.
Immunités absolues
Appliquées notamment aux ambassadeurs et certains hauts représentants de l’État dans leurs fonctions extérieures, elles ne peuvent être levées qu’avec l’accord de l’État d’origine, conformément au droit international (Convention de Vienne de 1961).
III. Développements récents : Cas Kabila, Matata et Mutamba
Levée de l’immunité de Joseph Kabila
En avril 2025, le Sénat a levé l’immunité de l’ancien président Joseph Kabila, ouvrant ainsi la voie à d’éventuelles poursuites judiciaires.
Une première historique en RDC, qui rompt avec le tabou autour de la sacralité des anciens chefs d’État.
L’initiative est perçue par certains comme une volonté politique forte de rupture avec l’impunité d’élite, tandis que d’autres dénoncent une vengeance politique déguisée, dans un contexte de recomposition des alliances nationales.
La grande interrogation demeure : jusqu’où ira la justice ? Et le procès de Kabila serait-il juridique ou hautement politique ?
Condamnation d’Augustin Matata Ponyo par la Cour constitutionnelle.
L’ancien Premier ministre a été condamné en mai 2025 par la Cour constitutionnelle pour sa responsabilité dans le scandale du projet agro-industriel de Bukanga-Lonzo.
Ce jugement, attendu de longue date, intervient après plusieurs péripéties judiciaires, dont une première incompétence déclarée par la même Cour en 2021.
Le verdict est salué par certains comme une avancée de la justice, mais critiqué par d’autres comme sélectif et expéditif, car rendu dans un climat de fortes tensions politiques.
Cas Constant Mutamba : toujours en suspens
Ministre de la Justice, Constant Mutamba reste visé par une demande de levée d’immunité à la suite de déclarations et actes jugés polémiques.
Le dossier n’a pas encore abouti, mais illustre la difficulté pour une personnalité au cœur du système judiciaire d’être elle-même mise en cause sans créer de choc institutionnel.
IV. Enjeux politiques et risques de dérive
Une justice à double vitesse ?
La levée sélective des immunités soulève la question de l’égalité devant la loi. Pourquoi certains sont-ils poursuivis et d’autres épargnés ?
Le risque est de voir naître une justice instrumentalisée, où les actions judiciaires servent à affaiblir des figures gênantes.
Fin de l’impunité ou justice spectacle ?
Les cas Kabila et Matata laissent entrevoir une volonté nouvelle de transparence et de reddition des comptes.
Toutefois, leur médiatisation extrême donne parfois l’impression d’une justice spectacle, utilisée pour redorer l’image des institutions sans garantie de procédure équitable.
Quelle réforme pour demain ?
La RDC a besoin d’une réforme globale du système d’immunité :
Clarification des conditions de levée.
Protection contre les abus judiciaires et politiques.
Renforcement de l’indépendance des magistrats.
V. Conclusion
Le vent semble tourner en République Démocratique du Congo : les personnalités autrefois intouchables commencent à rendre des comptes. La levée de l’immunité de Joseph Kabila et la condamnation de Matata Ponyo constituent des précédents lourds de sens, porteurs d’espoir pour la justice, mais aussi de dangers pour la stabilité politique si la procédure n’est pas équitable.
L’heure est venue d’institutionnaliser une justice forte mais impartiale, qui ne soit ni à la solde du pouvoir, ni en quête de vengeance politique.
Par Graddy Oloko Analyste politique-Kinshasa