Pourquoi les jeunes filles de Goma préfèrent-elles les hommes plus âgés, les « Bishakose » ? Une immersion au cœur d’un phénomène social

Goma, ville vibrante et pleine de contrastes, capitale du Nord-Kivu, porte les marques d’une histoire riche, mais aussi de défis sociaux profonds. Ici, les rues s’animent dès le matin avec le tumulte des vendeurs, les moteurs rugissants des motos taxis et le brouhaha des marchés. Mais dans ce décor où la vie ne cesse de battre, un phénomène interpelle : pourquoi tant de jeunes filles choisissent-elles de sortir avec des hommes beaucoup plus âgés, appelés localement les « Bishakose » ?

Pour comprendre cette réalité, nous avons pris la route, le cœur de la ville comme terrain d’enquête, et rencontré cinq jeunes gens — deux filles et trois garçons — dont les paroles dévoilent un panorama complexe et parfois contradictoire de cette pratique.

À la rencontre d’Esther, la coiffeuse : « Avec un vieux, tu n’es pas en galère »

Sous le soleil qui tape fort sur le marché de Virunga, Esther, 26 ans, coiffeuse dans un petit salon, nous accueille avec un sourire franc. Pour elle, la vie à Goma est une bataille au quotidien :

« Tu vois, ici, la galère est partout. Moi, sortir avec un vieux, ce n’est pas juste par plaisir. C’est pour avoir une épaule sur laquelle compter. Un vieux, il donne l’argent, il te facilite la vie, et puis il ne t’embrouille pas avec des histoires compliquées. Tu fais ce que tu dois faire, il te donne ce qu’il faut, et c’est fini. »

Elle parle avec une familiarité pleine d’assurance, emportant dans ses mots tout le vécu d’une jeunesse souvent confrontée à la précarité. Le terme « Bishakose » est employé avec une pointe d’humour, mais aussi de respect : ces hommes plus âgés sont perçus comme des piliers, même si leur réputation reste parfois ambivalente.

« Le temps, c’est de l’argent ici, explique-t-elle. Un vieux ne va pas te faire tourner en bourrique. Les relations sont rapides, sans prise de tête, et ça c’est un luxe quand tu n’as pas un sou. »

Alice, l’étudiante : « Ce n’est pas normal, surtout pour celles qui ont la tête sur les épaules »

À quelques rues de là, dans un amphithéâtre de l’Université de Goma, Alice, étudiante en sciences sociales, nous donne un autre son de cloche. Habillée sobrement, son regard exprime à la fois lucidité et un peu de tristesse :

« Moi, je comprends que certains filles cherchent à survivre, mais sortir avec un vieux juste pour l’argent, ce n’est pas normal. Surtout pour celles qui ont une éducation, un projet de vie. C’est comme vendre son avenir pour quelques billets. »

Alice dénonce ce qu’elle appelle « une forme de dépendance toxique » :

« Ça dévalorise la femme, ça la met dans une position où elle ne se respecte plus. Pourtant, l’éducation, c’est la vraie richesse. Je vois certaines filles qui pensent que c’est le seul moyen, mais c’est un piège. »

Les garçons : entre pragmatisme et critique

Sur une terrasse de café, nous avons retrouvé Jean, Patrick et Michel, trois jeunes hommes dans la vingtaine, qui donnent à leur tour leur avis.

Jean et Patrick sont pragmatiques, proches de la position d’Esther :

Jean : « Les vieux ont la caisse, ils sont stables. Moi, je comprends pourquoi une fille peut choisir ça. Avec eux, tu peux payer tes études, aider ta famille, avoir une maison. »

Patrick : « Ce n’est pas juste pour l’argent, parfois ils sont plus sérieux. Ils ne te stressent pas comme les jeunes qui cherchent à juste s’amuser. »

Mais Michel, lui, est plus proche de la critique d’Alice :

« Je pense que les filles doivent se prendre en charge. Sortir avec un vieux pour l’argent, ça crée une dépendance qui te détruit. Il faut que nos sœurs aient de la fierté, qu’elles croient en elles-mêmes. »

Contexte et données

Selon une étude réalisée en 2023 par l’Institut National de la Statistique de la RDC, environ 35% des jeunes filles de Goma âgées de 18 à 25 ans ont déclaré avoir ou avoir eu une relation avec un homme de plus de 10 ans leur aîné, souvent pour des raisons économiques. Cette pratique s’inscrit dans un contexte où le chômage des jeunes dépasse les 50% dans la région, et où l’accès à l’éducation et aux opportunités reste limité, en particulier pour les filles.

Le terme « Bishakose », qui signifie littéralement « les vieux qui cassent », fait référence aux hommes plus âgés capables de « casser » (payer) les besoins matériels, souvent de façon rapide et efficace. Ce phénomène est donc ancré dans une réalité socio-économique difficile.

Conclusion : entre survie et aspiration

À Goma, le choix de sortir avec un « Bishakose » n’est jamais anodin. C’est un mélange d’opportunité, de survie et parfois d’ambition dissimulée. Si certains y voient une forme de protection et d’accès à un meilleur quotidien, d’autres y dénoncent une dépendance qui freine le véritable émancipation des jeunes filles.

Cette enquête nous rappelle que derrière chaque « Bishakose » se cache une société qui cherche à trouver un équilibre entre difficultés économiques, traditions et espoirs pour un avenir meilleur.

Pour Zionnews-tv.net/Jason Kabera

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