Depuis son adoption dans les établissements supérieurs de la République Démocratique du Congo, le système Licence-Master-Doctorat (LMD) ne cesse de diviser.
Présenté comme un modèle d’ouverture et d’harmonisation avec les standards internationaux, il est pourtant perçu par certains comme une réforme précipitée, voire déstabilisante.
Entre partisans de la modernisation et nostalgiques du système classique, Zionnews est allé à la rencontre d’universitaires, d’artistes, d’experts et d’étudiants pour décrypter ce tournant majeur du monde académique congolais.
Claver Ndagijimana Bahenda : “Une belle idée, mais mal enracinée dans notre réalité”
Pour Claver Ndagijimana Bahenda, enseignant-chercheur dans plusieurs institutions universitaires, le LMD est un concept ambitieux, mais mal adapté au contexte congolais.
« Le système LMD est une belle ambition, mais sa réussite dépend du contexte dans lequel il s’applique. L’idée de rapprocher le Congo des standards internationaux est louable, mais l’adaptation locale reste faible. Sans moyens matériels et humains suffisants, cette réforme devient un simple slogan », explique-t-il.
Selon lui, une véritable réussite du LMD passe par la formation continue des enseignants, l’équipement des institutions et une harmonisation réelle des programmes.
« Ce n’est pas le nom du système qui change la qualité, mais la manière dont il est vécu et appliqué », conclut-il.
Tumaini Kabirika Olympio : “L’ancien système formait des têtes bien faites”
Diplômé en Relations internationales à l’Université de Goma, Tumaini Kabirika Olympio, ancien étudiant du système classique, garde une certaine nostalgie du passé.
« L’ancien système formait des esprits solides et disciplinés. Cinq années d’études exigeantes qui forgeaient l’endurance et la rigueur intellectuelle », confie-t-il.
Pour lui, le LMD, en voulant aller vite, a perdu en profondeur.
« On forme beaucoup de diplômés, mais peu de penseurs. Le savoir se fragmente et la réflexion se perd. »
Il plaide pour un retour à l’exigence, sans pour autant rejeter les aspects positifs du LMD, comme l’ouverture internationale et la flexibilité académique.
Trésor MASHAURI, enseignant à l’ISP Nyiragongo et coach chez OQATA : “L’étudiant devient acteur, mais les moyens manquent”
Dans le domaine de l’enseignement supérieur, Trésor MASHAURI salue les avancées du LMD.
« On passe d’un modèle centré sur l’enseignant à un modèle où l’étudiant devient véritable acteur de son apprentissage. En géographie et en environnement, les stages et recherches de terrain prennent plus de place », souligne-t-il.
Mais il pointe aussi les limites : laboratoires sous-équipés, bibliothèques obsolètes, accès limité à Internet.
« Ces obstacles freinent la pleine mise en œuvre de la réforme », regrette-t-il.
Dans sa fonction de coach à OQATA, entreprise spécialisée dans le marketing de réseau (MLM), il voit pourtant une synergie entre l’université et l’entrepreneuriat :
« Le LMD développe la pensée critique, la communication et la gestion de projet. Ce sont des qualités essentielles dans l’entrepreneuriat collaboratif. Quand on combine la base universitaire et la pratique de terrain, on crée une jeunesse prête à affronter les défis économiques du pays. »
Raymond Kighoma, expert à Beni : “Le LMD est devenu un populisme académique”
Dans le monde humanitaire, Raymond Kighoma, expert œuvrant dans les ONG à Beni, reste très critique.
« Le LMD est une réforme populiste, déconnectée du terrain. On a voulu copier sans adapter. Les diplômés sortent, mais manquent souvent de compétences pratiques », déplore-t-il.
Il ajoute :
« L’ancien système, malgré ses lourdeurs, formait des cadres opérationnels capables de rédiger, d’analyser et de gérer. Aujourd’hui, beaucoup d’étudiants maîtrisent les présentations PowerPoint, mais pas les réalités du travail de terrain. »
Pour lui, la vraie réforme doit passer par la qualité, la formation pratique et l’éthique professionnelle.
Emmanuel Niyigena, philosophe et artiste patriote de RENAFRIQUE : “L’école africaine a perdu son âme”
Pour Emmanuel Niyigena, philosophe et artiste engagé, rattaché à la pensée RENAFRIQUE et influencé par Kashaki, le problème dépasse le cadre pédagogique.
« L’éducation africaine actuelle est devenue un commerce de diplômes, une simple course à la reconnaissance sociale. On a oublié que l’école devait d’abord libérer l’esprit africain », martèle-t-il.
Il appelle à une éducation enracinée dans les valeurs africaines : solidarité, créativité et identité culturelle.
« Le LMD est une imitation du modèle occidental. L’Afrique doit inventer son propre modèle, celui qui parle à son âme et à sa réalité », conclut-il.
Aimable Mugisha, artiste de paix : “L’éducation doit aussi construire les cœurs”
Pour Aimable Mugisha, artiste de paix et défenseur de la cohésion sociale, le vrai défi n’est pas le système, mais la finalité de l’éducation.
« L’école ne doit pas seulement former des diplômés, mais des citoyens. La paix, la tolérance et l’amour du pays devraient être enseignés au même titre que la science », déclare-t-il.
Selon lui, l’art et l’éducation sont deux piliers inséparables :
« Un peuple instruit sans conscience devient dangereux. Le LMD ou l’ancien système n’ont de valeur que s’ils élèvent la personne humaine. »
Ortance Uwitonze, finaliste en Gestion informatique à l’ISC Goma : “Nous finissons vite, mais sans profondeur”
Étudiante de la génération LMD, Ortance Uwitonze partage un regard lucide :
« Dans le LMD, beaucoup de cours sont survolés. On nous dit souvent de faire des recherches nous-mêmes, et certains professeurs ne dispensent qu’une petite partie du programme. »
Elle reconnaît néanmoins des avantages :
« Le système permet d’alléger les frais et de terminer les études plus rapidement. »
Mais son constat est amer :
« Nous terminons vite, mais souvent sans la maîtrise suffisante. Je pense qu’il faut réformer le LMD ou revenir à un modèle plus exigeant. »
Abedi Sadiki, DG de l’ASMOVC : “L’éducation doit élever, pas alléger”
Encadreur des jeunes et Directeur Général de l’ASMOVC, Abedi Sadiki insiste sur la dimension sociale du débat.
« Le LMD n’aura de sens que s’il forme des jeunes responsables, disciplinés et engagés. Une réforme sans transformation morale n’est qu’une réforme de façade. »
Il appelle à un système éducatif qui éveille la conscience civique et valorise le travail bien fait.
Josué Mishumbi, informaticien et directeur d’un média en ligne : “Un système moderne doit être numérique”
Pour Josué Mishumbi, informaticien et directeur d’un média digital, le LMD ne peut réussir sans une intégration sérieuse des outils technologiques.
« Aujourd’hui, le savoir passe par le numérique. Les universités doivent s’adapter à la révolution digitale. Le LMD sans digitalisation est une illusion », affirme-t-il.
Il encourage la formation en intelligence artificielle, en data management et en communication numérique, pour aligner le système éducatif congolais sur les exigences du XXIᵉ siècle.
Entre promesse et réalité
Loin des discours officiels, cette enquête révèle un constat partagé : le système LMD, en RDC, reste un chantier inachevé.
S’il incarne une volonté d’évolution, il souffre encore de faiblesses structurelles, d’un manque de moyens et d’une incompréhension profonde de ses objectifs.
L’avenir de l’enseignement supérieur congolais dépendra donc moins du sigle affiché sur les diplômes que de la volonté réelle de transformer l’école en un lieu de rigueur, de liberté et de créativité.
Pour Zionnews-tv.net / Jason Kabera
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